« J’ai passé ces 25 dernières années comme médecin chef à systématiser les principes de l’influence pour développer des pratiques efficaces et mesurables, explique Alan Spiro. Le domaine de l’assurance santé est très différent de la pratique de la médecine. Comme dans n’importe quelle entreprise, l’objectif est de maîtriser les coûts et d’améliorer la qualité du service. Pour autant, le livre de Robert Cialdini, Influence, m’a permis de comprendre que le secteur de l’assurance santé n’avait rien voir avec la gestion pratiquée dans les entreprises traditionnelles. Notre travail repose avant tout sur un modèle d’influence. Nous sommes là pour orienter nos assurés dans un système très compliqué. Cela consiste principalement à les aider à prendre les meilleures décisions possibles, à les influencer pour qu’ils bénéficient des meilleurs soins de santé à moindre coût. »
L’influence éthique au coeur de l’entreprise
En 2007, Alan Spiro fonde avec deux partenaires la compagnie d’assurance santé Accolade selon un modèle d’influence et non de gestion traditionnel. Pour le médecin chef, le fonctionnement de leur centre d’appels illustre parfaitement cette différence d’approches. « En général, dans une compagnie d’assurance santé, les centres d’appels sont vus comme un service financier (et non pas un service médical) que les assurés appellent pour savoir à quelles prestations ils ont droit. Bien que leur mission soit de limiter les frais médicaux, leur principal objectif reste la rapidité d’action. » Ce n’est pas le cas chez Accolade qui envisage les appels de ses assurés comme une opportunité d’influencer, de manière éthique, leurs décisions en matière de soins de santé. « Dans notre secteur, bien souvent les décisions sont guidées par les émotions et non pas par un raisonnement logique, explique Alan Spiro. Ce phénomène entraîne une augmentation des frais, car, dans un climat de stress, les choix sont précipités. Nos standardistes sont donc formés pour garder les assurés en ligne suffisamment longtemps pour parvenir à ce qu’Accolade appelle un « moment de sincérité ». Le pouvoir d’influence entre alors en action pour que les assurés se délestent de leurs émotions et prennent des décisions plus rationnelles ». Par exemple, les assurés attendent souvent d’être sur le parking des urgences pour se renseigner sur leur couverture médicale. Mais, même dans ce contexte, Accolade ne se contente pas de fournir l’information minimale. Sa politique consiste à obtenir un maximum d’informations sur la situation de l’assuré, notamment en s’entretenant avec un infirmier afin de déterminer son état de santé. « Les standardistes en viennent souvent à la conclusion qu’une consultation chez un médecin traitant serait moins chère pour une meilleure qualité de soins. Aux États-Unis, une consultation aux urgences coûte 1 000$, quand celle d’un généraliste en coûte 200. Par conséquent, lorsque c’est plus judicieux, nous tentons de persuader nos assurés de prendre la meilleure décision qui soit. »
Une formation pour développer sa force de persuasion
« Les tactiques de persuasion peuvent sembler évidentes, et sont innées chez certains, mais pour la plupart d’entre nous elles doivent être apprises. Lorsque nous avons mis en place nos formations, nous nous sommes aperçus qu’il s’agissait avant de déconstruire certaines habitudes de notre profession. Par exemple, lorsque nous souhaitons parler à un infirmier, nous ne pouvons nous empêcher de demander aux assurés la permission de nous le passer au téléphone. Le fait que nous ressentions le besoin de l’exprimer comme une demande est un réflexe purement culturel. Selon les principes de l’influence, toutefois, il est essentiel de ne pas demander d’autorisation. Nous devons engager notre interlocuteur à nous mettre en contact avec un infirmier au moyen d’une affirmation afin d’asseoir notre autorité d’expert.